Séminaire ,Samedi 26 octobre 2019 à Tunis
Après la large victoire remportée par le candidat Kais Saaied au second tour de l’élection présidentielle, la Tunisie est entrée dans une période de transformation politique marquée par l’expansion de la participation populaire aux affaires publiques et la multiplicité des initiatives citoyennes. D’un autre côté, il semblait y avoir un paradoxe entre cette élection et la course parlementaire qui s’est tenue il y a des semaines, car cette dernière a abouti à l’élection d’une nouvelle assemblée caractérisée par la dispersion de la répartition des sièges rendant difficile la formation d’une coalition gouvernementale. Cette forte dispersion a mis en évidence la difficulté d’obtenir la majorité requise pour tout projet mené par le parti gagnant, car plusieurs partis ont exprimé leur rejet de la participation à un gouvernement dirigé par le mouvement Ennahdha.
Dans son article 89, la Constitution stipule que le parti vainqueur doit être invité à former un gouvernement dans un délai de deux mois. En cas d’échec, il appartient au Président de la République de mandater la personne «la plus capable» pour former un gouvernement, et au cas où quatre mois s’écouleraient après la première affectation sans qu’un nouveau gouvernement soit formé, le Parlement devra être dissous et il y aura un appel à de nouvelles élections parlementaires. Cet article donne certes la priorité au parti vainqueur dans la formation du gouvernement, mais il permet aussi au président une chance d’intervenir et même de définir le processus. Ces scénarios font actuellement l’objet de discussions entre ceux qui insistent sur le droit absolu du parti gagnant de former le gouvernement et les réserves des petits et moyens blocs parlementaires à y participer.
Parallèlement, et au- delà des débats constitutionnels, il semble y avoir une concurrence à venir entre deux légitimités: la légitimité d’un président élu par un pourcentage élevé d’électeurs, et celle d’un Parlement qui ne cesse de perdre constamment de sa popularité au fil des ans. La grande légitimité du président est en effet un facteur difficile pour les partis qui ont remporté l’élection car ils se trouvent sous une pression les poussant à travailler en phase avec le président ; ils sont amenés de ce fait à se dépasser les antagonismes de l’ère précédente qui a vu une opposition entre les deux institutions exécutives et projeté un image négative d’une classe politique noyée dans ses conflits et incapable de résoudre les questions sociales et économiques urgentes.
Le président de la République doit prononcer son discours inaugural le mercredi 23 octobre; il est censé commencer une nouvelle phase dans la vie du peuple tunisien, donner une forte impulsion au travail des institutions et clarifier ses positions sur la question des libertés, des organisations sociales et de la politique étrangère. Les observateurs s’attendent à ce que ce discours soit la première occasion pour le président afin de faire pression sur les partis et le parlement, d’autant plus qu’il est contraint de désigner le parti vainqueur pour former le gouvernement dans les deux jours. Comment les parties réagiront-elles à cette pression? Les partis réussiront-ils à choisir une personnalité possédant les caractéristiques capables d’éliminer les réserves des autres et de former un gouvernement stable, ou le processus échouera-t-il et rendra-t-il à nouveau l’initiative dans deux mois au Président de la République?