Colloque scientifique: « La consultation nationale » entre participation et propagande

Le 13 décembre 2021, le président de la République, Kais Saied, a annoncé une feuille de route pour une nouvelle phase fondatrice du pays, consistant à introduire des amendements au système constitutionnel et législatif, dans les domaines concernés par les « réformes politiques», avec l’organisation d’élections législatives anticipées. L’annonce de la feuille de route à la date susmentionnée a représenté l’achèvement d’un nouveau contexte politique et institutionnel commencé à deux dates précédentes : le 25 juillet, qui est la date de proclamation de l’état d’exception par des mesures jugées arbitraires par la plupart des principaux forces vives politiques et également par des experts juridiques (article 80 de la Constitution), et le 17 septembre, date de la publication de l’ordonnance présidentielle n° 117 de 2021, qui stipulait la suspension d’un certain nombre de sections de la constitution avec une réorganisation des pouvoirs pendant la validité de la période exceptionnelle.

En plus de prendre la forme d’une déclaration politique sans aucun encadrement officiel dans un texte juridique qui en contrôle les dates annoncées, la feuille de route reflétait clairement la vision du pouvoir sur la nouvelle voie de la transition, qui est la rupture initiale avec la voie constitutionnelle avant de déclarer la état d’exception sans s’en séparer complètement, en procédant à des « réformes politiques » sous forme d' »amendements » incluant le système constitutionnel et législatif, mais sans se limiter aux mécanismes constitutionnels et législatifs normaux, sous le titre d’état d’exception. Cette situation, contournant la discussion sur l’interprétation de la constitution, reflétait un état de tension sur l’exercice de la souveraineté populaire, qui a impacté le discours politique du président de la République, que ce soit en distinguant légitimité et légalité, notamment avant le 25 juillet, soit en questionnant l’efficacité des mécanismes de cette pratique, appelant à de nouveaux mécanismes.

Dans ce contexte, la Consultation nationale, qui est la première étape de la feuille de route, est un mécanisme « non conventionnel » proposé par le président de la République pour assurer la « participation ». Il vise, comme le présente sa plateforme en ligne, « à faire du citoyen tunisien un véritable acteur dans le processus d’élaboration de nouveaux concepts d’options de base » liés au système politique, électoral, social, économique et culturel en Tunisie. Ainsi, il représente un « cadre démocratique de délibération sur les propositions » en rupture avec les mécanismes en vigueur, et un contenant qui ouvre la voie à une commission spécialisée pour déterminer le contenu des réformes avant de les soumettre à référendum le 25 juillet 2022, puis organiser des élections législatives anticipées le 17 décembre 2022, qui sont les deuxième et troisième phases de la feuille de route.

Le jour de l’annonce de la feuille de route, la consultation nationale était également annoncée pour s’étendre du 1er janvier au 20 mars 2022, mais elle a rencontré des « difficultés techniques » qui ont retardé son lancement sans lever ces difficultés, ce qui expliquerait le taux de participation limité. Au final, la consultation s’est limitée à une plateforme électronique ouverte au public avec un système d’accès privé, sans inclure les rencontres directes dans les foyers de jeunes des différents gouvernorats de la République, contrairement à ce qui était initialement annoncé. La consultation se compose de 30 questions réparties sur 6 axes (affaires politiques et électorales, affaires économiques, affaires sociales, affaires éducatives et culturelles, développement et transition numérique, et qualité de vie), en plus d’un espace de libre expression dans chaque axe.

Cette consultation, présentée par le président de la République comme un mécanisme de participation populaire au contrôle des grands choix, s’inscrit également dans son discours critique sur la démocratie représentative, car elle n’est plus en mesure de réaliser la volonté populaire, qui recoupe une critique générale appelée la « crise » de ce type de démocratie. Cela rappelle le projet affiché du président de la République de construire le pouvoir à la base, et ce que certains voient comme un croisement avec le concept de démocratie directe, projet encore peu clair quant au contenu des réformes attendues.

Sur le plan purement formel, et au-delà de la nécessité de distinguer la consultation du référendum électronique malgré la confusion parfois « officielle » entre eux, la consultation a soulevé des questions quant à la protection des données personnelles de ses participants, en plus d’assurer la confidentialité de la participation. Cependant, la discussion fondamentale est liée à la façon de préparer le contenu de la consultation : les auteurs du contenu, les critères de détermination des thèmes et des questions, surtout avec « l’absence » des médias, de la société civile ainsi que des politiques dans le processus de préparation . Historiquement, la Tunisie n’a jamais vu l’organisation d’une consultation publique nationale, avec un tel contenu et dans un tel contexte politique. Cependant, le pays a connu des expériences de consultations comme mécanisme de contrôle avec le public, ce qui remet en cause la propagande présentée sur la nouveauté de la consultation comme mécanisme de participation populaire novateur.

Pendant ce temps, le plus grand défi auquel est confrontée la Consultation nationale est la faiblesse de l’engagement populaire et qui va jusqu’au «refus», selon les observateurs, ce qui met l’autorité dans l’embarras, étant donné l’incapacité à convaincre le grand public de participer à la première étape de la feuille de route, qui représente le cadre de rassemblement des « réformes » aussi bien dans l’axe politique que dans les autres axes. La pression du temps et les problèmes techniques peuvent expliquer la participation limitée, mais il y a également en parallèle l’escalade du rythme de la propagande officielle, allant crescendo. Cependant, l’implication populaire limitée allant de pair avec des taux de soutien élevés au processus du 25 juillet et au chef de l’État, selon les sondages d’opinion de différents centres, présente un paradoxe qui reflète l’état de tension non pas au sens purement politique, mais aussi dans le sens sociologique.

La consultation se situe généralement entre deux positions : la première considère que la consultation nationale n’est qu’un cadre de délibération démocratique dans le cadre de l’approche participative, et qu’elle vise à fournir une plate-forme de débat politique et sociétal au cours des prochains mois en préparation du référendum, et qu’il s’agit d’un mécanisme de renforcement de la souveraineté populaire qui recoupe et ne contredit pas les deux mécanismes que sont le référendum et l’élection directe à un conseil représentatif. Ce sont les deux prochaines phases de la feuille de route, et cette position réduit l’importance de la faiblesse de l’engagement populaire en tant qu’indicateur non concluant du soutien populaire à la nouvelle voie. D’autre part, l’autre position estime que la Consultation nationale soit un mécanisme visant à légitimer les choix antérieurs et déclarés du chef de l’État, et qu’elle soit reléguée à un projet populiste qui prétend « rendre le pouvoir au peuple ». Cette position considère la réticence comme une indication claire de l’absence d’un levier populaire pour la nouvelle voie de transition.

Au final, la Consultation nationale a posé de multiples problèmes et soulevé plusieurs questions : Représentait-elle en elle-même un mécanisme efficace d’accession à la souveraineté populaire dépassant ou concurrençant les mécanismes traditionnels ? A-t-elle réussi ou échoué en tant que cadre de délibération démocratique participative ? Le manque d’implication populaire peut-il être considéré comme la preuve d’une neutralité négative générale vis-à-vis de la participation aux affaires politiques « professionnelles », ou comme la preuve d’un faible soutien populaire à la nouvelle voie de transition, ou les deux ? Reflète-t-elle principalement la crise de la démocratie représentative ou la crise de la nouvelle voie ? Les conditions d’un traitement équitable des résultats de la consultation sont-elles disponibles? Quels enseignements cette consultation comporte-t-elle, et quelles perspectives cette consultation ouvre-t-elle, notamment, du point de vue de la pratique politique future ? 

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