Centre d’études stratégiques sur le Maghreb, 15 janvier 2022
La situation des médias tunisiens à la lumière de l’étape des mesures exceptionnelles que traverse la Tunisie depuis le tournant du 25 juillet 2021 représente un sujet important qui mérite examen et réflexion, non seulement sous l’angle lié à la liberté de la presse, mais aussi par rapport à l’avenir du secteur dans son ensemble d’un point de vue juridique, professionnel, intellectuel et sociétal.
Au cours de la dernière décennie, la scène médiatique tunisienne a été caractérisée par un ralentissement dans la voie des réformes en raison de l’absence de politique publique claire allant dans ce sens, malgré ce qui a été réalisé au niveau du pluralisme et de la marge sans précédent de liberté dans l’histoire du pays reconnue par des organismes internationaux tels que Reporters sans frontières, en plus de la création du Conseil de presse et du rôle de régulation joué par la HAICA.
Il est devenu clair, après l’annonce par le président de la République, Kais Saied, des mesures exceptionnelles, qu’un état de confusion est apparu dans le traitement médiatique de la nouvelle situation politique imposée par l’activation de l’article 80 de la Constitution, en plus de la publication de l’arrêté présidentiel n° 117. La confusion a été mise un objet d’alerte par les rapports de l’unité de la HAICA notamment sur les questions de l’équilibre et du pluralisme dans la couverture médiatique. Les structures de la profession, notamment le Syndicat national des journalistes tunisiens, a attiré l’attention sur les mêmes points.
Réfléchir sur le rôle des médias tunisiens dans le contexte actuel caractérisé par des mesures exceptionnelles et l’état de division sociétale et politique ouvre des portes plus larges pour discuter de l’avenir de ce secteur et du code législatif (décrets 115 et 116) le réglementant depuis 2011.
A l’heure où les professionnels des médias appellent à la nécessité de lancer un atelier de réforme afin d’éviter les insuffisances de la dernière décennie pour que les médias tunisiens soient à la hauteur de la responsabilité sociale qui leur est confiée en tant qu’acteur majeur de la sphère publique, les approches semblent différentes.
Une évaluation du passé récent est nécessaire pour mesurer ce qu’il convient de faire pour garantir les libertés de la presse et le droit d’accès à l’information, et pour asseoir l’indépendance des médias vis-à-vis des conflits politiques afin qu’ils puissent jouer leur rôle de quatrième autorité autonome.
Ce débat professionnel et académique sur les médias tunisiens, publics et privés, s’inscrit dans le contexte d’une crise structurelle complexe que le secteur souffre, dont le rapport au public est en proie à de nombreuses ambiguïtés, notamment manifestées dans le faible niveau de confiance mis en évidence par certaines opérations d’opinion.
Sous cet angle, ce colloque soulève un certain nombre de problèmes brûlants pour débattre du rôle des médias à l’heure des mesures exceptionnelles qui ont imposé une nouvelle feuille de route politique qui devrait déboucher sur un référendum populaire et des élections législatives prématurées à la fin de l’année en cours 2022. Une année qui sera pleine de défis auxquels seront confrontés divers acteurs du domaine médiatique, entre ce qui est conjoncturel et ce qui est stratégique.
Peut-on être certain de l’échec de la transition médiatique et de l’expérience réformatrice en Tunisie ? Et quelle est la responsabilité des médias dans les écueils de la transition démocratique qui ont conduit au tournant des mesures exceptionnelles? Est-ce scientifiquement objectif de prétendre que les médias ont corrompu l’expérience démocratique tout en oblitérant le rôle des politiciens et des partis politiques? Comment évaluer les effets des mesures exceptionnelles sur la vie médiatique au cours des derniers mois? Et quelle sera la relation du président de la République, Kais Saied, avec les médias et les structures de la profession dans la prochaine étape, à la lumière des larges pouvoirs dont il dispose actuellement et compte tenu des critiques dirigées contre sa politique de communication ?
Dans quelle mesure le populisme représente-t-il une menace pour les libertés de la presse et des médias, qualifiés d’instances de médiation entre la société, les acteurs politiques et les institutions élues dont le rôle est considéré comme révolu par les populistes? La situation politique actuelle menace-t-elle l’existence même de la presse en tant qu’autorité de contre-régulation face à la crise globale que traverse le secteur? Quel est l’horizon de la réforme des médias pour asseoir un journalisme de qualité au milieu de la situation politique exceptionnelle que traverse le pays ? Et quel rôle les médias devraient-ils jouer dans la prochaine étape, en lien avec les enjeux politiques, sociaux et économiques à l’ordre du jour de l’État et de la société?
Le programme:
* Sadok Hammami : Médias et démocratie : la transition brisée.
* Fathia Saidi : Le populisme et ses effets sur les médias tunisiens.
* Sakina Abdel Samad : Perceptions de la réforme des médias audiovisuels à la HAICA.
* Mondher Cherni, chercheur dans le domaine des lois régissant les médias : le cadre juridique des médias sous l’état d’exception.
* Mohamed Yassine Jelassi : Mesures exceptionnelles : opportunité de réforme ou menace imminente pour la liberté des médias ?